Catherine Malabou's article 'Murée de l'être' was published in Le Vocation Philosophique (Bayard 2004)
First presented at Centre Pompidou, 5.22.2002
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Thursday, March 15, 2012
Tuesday, March 13, 2012
Malabou's Le Monde Interview "La philosophie a orchestré l'impossibilité de la femme comme sujet"
Catherine Malabou : "La philosophie a orchestré l'impossibilité de la femme comme sujet"
LE MONDE DES LIVRES | 17.12.09
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Catherine Malabou n'a manifestement pas le goût des territoires et des routines. En retrouvant la philosophe dans un café bondé et quelque peu bruyant du 1er arrondissement de Paris, on comprend aussitôt qu'elle préfère les espaces ouverts à la quiétude du logis, et la foule au confort de l'intimité.
C'est d'ailleurs très bien ainsi, et le dialogue n'en pâtira pas. Car on découvre aussi que cette intellectuelle protéiforme est une interlocutrice attentive et passionnée. Elle semble d'ailleurs plus intéressée par l'autre que par elle-même, curieuse d'épier ses réactions et de savoir ce qu'il pense de son travail. Surprise, presque, qu'on s'intéresse à elle.
Elle dira être née en Algérie, avouera être normalienne, évoquera la thèse sur Hegel qu'elle a rédigée sous la direction de Jacques Derrida (dont elle fut un "compagnon de route"). Elle enseigne également à l'université de Nanterre et aux Etats-Unis. Pour le reste ? "Vous savez, élude-t-elle, ma vie n'est pas très intéressante." On se tourne alors vers ses concepts, et à l'évidence, cela lui convient mieux. Celui de "plasticité", notamment, qu'elle a justement découvert chez Hegel et n'a cessé d'élaborer depuis, pour en explorer toutes les implications.
La plasticité, c'est l'aptitude à maintenir une identité tout en évoluant, en muant, en se transformant au contact de l'environnement et selon les aléas des circonstances. En neurologie, la plasticité cérébrale désigne la capacité qu'ont les synapses de moduler leur fonctionnement sous l'effet de l'expérience, donc de l'apprentissage, ce qui signifie que le cerveau n'est pas "rigide", mais évolutif, ouvert, en transformation constante.
Elle raconte en souriant que cette orientation décisive de son travail s'est dessinée initialement par hasard. "J'étais tombée sur un numéro de la revue La Recherche qui portait sur la mémoire, et dont l'un des articles évoquait la plasticité neuronale. Je me suis rendue compte que c'était exactement cela que je travaillais chez Hegel..."
Rencontre fortuite
Ce qui l'a intéressée dans cette rencontre fortuite, c'était d'y trouver "la traduction d'un concept dans les choses mêmes", l'incarnation imprévue d'un pur objet de pensée dans un problème concret. Et c'est dans cette optique qu'elle a mené de nombreux travaux sur les neurosciences (on mentionnera notamment Que faire de notre cerveau ?, Bayard, 2004 ; et La Chambre du milieu. De Hegel aux neurosciences, Hermann, 2009), cherchant à traiter par ce biais un problème à la fois politique et métaphysique, celui de la liberté. Comment penser cette dernière comme, non pas conquise contre l'inertie physique et le déterminisme naturel, mais directement inscrite dans le corps, immanente aux replis de la matière ?
Mais la question qui, aujourd'hui, habite Catherine Malabou avec le plus d'intensité est celle du féminisme. Sa réflexion prend sa source dans un constat radical. "La philosophie a orchestré l'impossibilité de la femme comme sujet." Et il lui semble que le discours dominant du féminisme, qui consiste en une critique de l'essentialisme et affirme qu'il n'y a pas d'identité propre du féminin, reconduit paradoxalement cette violence symbolique."Il est symptomatique, remarque-t-elle, qu'aucune femme ne se revendique vraiment philosophe, comme si elles ne s'en sentaient pas le droit."
Elle considère qu'il est nécessaire de sortir de cette impasse et d'assumer le fait qu'il existe quelque chose comme une spécificité du féminin. Et, puisque la femme s'est toujours définie par la violence qui lui était faite, il faut prendre au mot l'assimilation du féminin à un "rien d'être" et le redéfinir comme " essence vide mais résistante".
"Résistante" est ici le mot-clé. Catherine Malabou refuse avec la dernière énergie toute posture de victimisation. Lui demande-t-on d'évoquer son propre statut de femme-philosophe, les blocages qu'elle a pu rencontrer, la brutalité des luttes de territoire et autres bagarres de bac à sable dans lesquelles se complaît si souvent l'institution universitaire ? Elle commence à s'exécuter du bout des lèvres, puis écarte bien vite ces considérations d'un haussement d'épaules : "Ce n'est pas très grave, je me suis débrouillée." Il suffit de ne pas rentrer dans le jeu et, encore une fois, d'être mobile, plastique. En voyageant, par exemple. Et c'est sans doute la raison pour laquelle elle passe de plus en plus de temps aux Etats-Unis (où elle enseigne un semestre par an à l'université de Buffalo comme visiting professor).
Elle y a rencontré, dit-elle, une tout autre manière de poser les problèmes théoriques et politiques, d'être professeur, d'être militante, d'être féministe. C'est comme une véritable cure de relativisme culturel qu'elle évoque ses séjours américains. "On ne peut plus se réfugier derrière une illusoire tradition française d'excellence. On n'est plus le même quand on enseigne là-bas, et en anglais." Elle ajoutera dans un demi-sourire que "la gauche américaine est tout de même plus vivante que la nôtre"...
Il est un sujet, toutefois, qu'elle aborde avec, sinon une tristesse, du moins une déception perceptible : la "fin de non-recevoir" adressée par les politiques à La Grande Exclusion. L'urgence sociale, symptôme et thérapeutique (Bayard, 2009), l'ouvrage qu'elle a coécrit avec Xavier Emmanuelli, le fondateur du SAMU Social. Catherine Malabou confesse même, sur ce point, une certaine naïveté. "Je croyais que c'était un combat plus reconnu politiquement. Mais le problème des grands exclus n'est pas pris en compte en dehors du tintamarre télévisuel et des autoroutes de la charité." Il s'agissait justement pour elle de faire de la grande exclusion un problème proprement politique, et plus seulement un "sujet social", et elle ne peut dissimuler sa colère devant le fait que nos dirigeants fassent la sourde oreille.
"Des gens meurent dans la rue, conclut-elle lapidairement. Mais apparemment il y a des questions brûlantes qui ne sont pas brûlantes pour tout le monde."
Stéphane Legrand
LE MONDE DES LIVRES | 17.12.09
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Catherine Malabou n'a manifestement pas le goût des territoires et des routines. En retrouvant la philosophe dans un café bondé et quelque peu bruyant du 1er arrondissement de Paris, on comprend aussitôt qu'elle préfère les espaces ouverts à la quiétude du logis, et la foule au confort de l'intimité.
C'est d'ailleurs très bien ainsi, et le dialogue n'en pâtira pas. Car on découvre aussi que cette intellectuelle protéiforme est une interlocutrice attentive et passionnée. Elle semble d'ailleurs plus intéressée par l'autre que par elle-même, curieuse d'épier ses réactions et de savoir ce qu'il pense de son travail. Surprise, presque, qu'on s'intéresse à elle.
Elle dira être née en Algérie, avouera être normalienne, évoquera la thèse sur Hegel qu'elle a rédigée sous la direction de Jacques Derrida (dont elle fut un "compagnon de route"). Elle enseigne également à l'université de Nanterre et aux Etats-Unis. Pour le reste ? "Vous savez, élude-t-elle, ma vie n'est pas très intéressante." On se tourne alors vers ses concepts, et à l'évidence, cela lui convient mieux. Celui de "plasticité", notamment, qu'elle a justement découvert chez Hegel et n'a cessé d'élaborer depuis, pour en explorer toutes les implications.
La plasticité, c'est l'aptitude à maintenir une identité tout en évoluant, en muant, en se transformant au contact de l'environnement et selon les aléas des circonstances. En neurologie, la plasticité cérébrale désigne la capacité qu'ont les synapses de moduler leur fonctionnement sous l'effet de l'expérience, donc de l'apprentissage, ce qui signifie que le cerveau n'est pas "rigide", mais évolutif, ouvert, en transformation constante.
Elle raconte en souriant que cette orientation décisive de son travail s'est dessinée initialement par hasard. "J'étais tombée sur un numéro de la revue La Recherche qui portait sur la mémoire, et dont l'un des articles évoquait la plasticité neuronale. Je me suis rendue compte que c'était exactement cela que je travaillais chez Hegel..."
Rencontre fortuite
Ce qui l'a intéressée dans cette rencontre fortuite, c'était d'y trouver "la traduction d'un concept dans les choses mêmes", l'incarnation imprévue d'un pur objet de pensée dans un problème concret. Et c'est dans cette optique qu'elle a mené de nombreux travaux sur les neurosciences (on mentionnera notamment Que faire de notre cerveau ?, Bayard, 2004 ; et La Chambre du milieu. De Hegel aux neurosciences, Hermann, 2009), cherchant à traiter par ce biais un problème à la fois politique et métaphysique, celui de la liberté. Comment penser cette dernière comme, non pas conquise contre l'inertie physique et le déterminisme naturel, mais directement inscrite dans le corps, immanente aux replis de la matière ?
Mais la question qui, aujourd'hui, habite Catherine Malabou avec le plus d'intensité est celle du féminisme. Sa réflexion prend sa source dans un constat radical. "La philosophie a orchestré l'impossibilité de la femme comme sujet." Et il lui semble que le discours dominant du féminisme, qui consiste en une critique de l'essentialisme et affirme qu'il n'y a pas d'identité propre du féminin, reconduit paradoxalement cette violence symbolique."Il est symptomatique, remarque-t-elle, qu'aucune femme ne se revendique vraiment philosophe, comme si elles ne s'en sentaient pas le droit."
Elle considère qu'il est nécessaire de sortir de cette impasse et d'assumer le fait qu'il existe quelque chose comme une spécificité du féminin. Et, puisque la femme s'est toujours définie par la violence qui lui était faite, il faut prendre au mot l'assimilation du féminin à un "rien d'être" et le redéfinir comme " essence vide mais résistante".
"Résistante" est ici le mot-clé. Catherine Malabou refuse avec la dernière énergie toute posture de victimisation. Lui demande-t-on d'évoquer son propre statut de femme-philosophe, les blocages qu'elle a pu rencontrer, la brutalité des luttes de territoire et autres bagarres de bac à sable dans lesquelles se complaît si souvent l'institution universitaire ? Elle commence à s'exécuter du bout des lèvres, puis écarte bien vite ces considérations d'un haussement d'épaules : "Ce n'est pas très grave, je me suis débrouillée." Il suffit de ne pas rentrer dans le jeu et, encore une fois, d'être mobile, plastique. En voyageant, par exemple. Et c'est sans doute la raison pour laquelle elle passe de plus en plus de temps aux Etats-Unis (où elle enseigne un semestre par an à l'université de Buffalo comme visiting professor).
Elle y a rencontré, dit-elle, une tout autre manière de poser les problèmes théoriques et politiques, d'être professeur, d'être militante, d'être féministe. C'est comme une véritable cure de relativisme culturel qu'elle évoque ses séjours américains. "On ne peut plus se réfugier derrière une illusoire tradition française d'excellence. On n'est plus le même quand on enseigne là-bas, et en anglais." Elle ajoutera dans un demi-sourire que "la gauche américaine est tout de même plus vivante que la nôtre"...
Il est un sujet, toutefois, qu'elle aborde avec, sinon une tristesse, du moins une déception perceptible : la "fin de non-recevoir" adressée par les politiques à La Grande Exclusion. L'urgence sociale, symptôme et thérapeutique (Bayard, 2009), l'ouvrage qu'elle a coécrit avec Xavier Emmanuelli, le fondateur du SAMU Social. Catherine Malabou confesse même, sur ce point, une certaine naïveté. "Je croyais que c'était un combat plus reconnu politiquement. Mais le problème des grands exclus n'est pas pris en compte en dehors du tintamarre télévisuel et des autoroutes de la charité." Il s'agissait justement pour elle de faire de la grande exclusion un problème proprement politique, et plus seulement un "sujet social", et elle ne peut dissimuler sa colère devant le fait que nos dirigeants fassent la sourde oreille.
"Des gens meurent dans la rue, conclut-elle lapidairement. Mais apparemment il y a des questions brûlantes qui ne sont pas brûlantes pour tout le monde."
Stéphane Legrand
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